Les Eaux de Marthe

Dès que la nuit s’éternise
Et que luisent les fanaux
Des pêcheurs, dans ma Venise
S’illuminent les canaux.
La lune éclaire les toits, le
Croissant désencre le soir
Où fourmillent mille étoiles
Se mirant dans le Miroir.
Que jamais on ne m’écarte
Des eaux de Marthe.

Que l’on sèvre mes oreilles
Du son des tutus-panpans,
La musique de Mireille,
Mais qu’on laisse à mes tympans
Les envolées triomphales
Du vent maître, le mistral,
Le raffut de ses rafales
Dans mon univers austral.
Que jamais on ne m’écarte
Des eaux de Marthe.

Qu’on me prive, quel scandale !
De dessert et des santons,
De la veillée calendale,
D’âne, de bœuf, du niston !
Que la fête de la crèche
Me soit à jamais ravie,
Mais surtout qu’on ne m’empêche
Pas d’enguirlander ma vie.
Que jamais on ne m’écarte
Des eaux de Marthe.

Qu’au supplice, je salive
Aux saveurs de mon bercail :
Ô filet d’huile d’olive !
Ô goût de la gousse d’ail !
Mais, qu’un seul bout de poutargue
Me rappelle où je suis né,
D’orgueil, alors je me targue
Dans ma langue empoissonnée.
Que jamais on ne m’écarte
Des eaux de Marthe.

Ici, niche une chapelle
Azurée de romarin,
Bonne Mère qu’on appelle :
Notre Dame des marins.
Des marins, ô Marie sainte !
Bercés par les contretemps
De ces trois clochers qui tintent
Sur les rives de l’étang.
Que jamais on ne m’écarte
Des eaux de Marthe.

Dès que la nuit s’éternise
Et que luisent les fanaux
Des pêcheurs, dans ma Venise
S’illuminent les canaux.