La tour de Constance

Je sais un royaume sans trône
Depuis la mort du roi René,
Que viennent ceindre et couronner
Les bras du Rhône.

Pays du colvert et du harle,
Région de marais et d’étangs
Qui va de la mer et s’étend
Jusques en Arles ;

Où toute une faune y folâtre,
Se prélasse et se laisse aller
Dans l’eau douce ou dans l’eau salée,
Ou l’eau saumâtre.

Ici, la race chevaline
S’habille de sel et de cen-
-Dre, épouse les efflorescen-
-Ces des salines.

Ici, le vent maître vous carde,
Roule les cailloux de la Crau,
Souffle à décorner les taureaux
Noirs dans les hardes ;

Se met à jouer du cromorne,
Fouette les yeux de l’oiseau,
Râle et rugit dans les roseaux,
Les salicornes ;

Reprend son haleine inlassable-
-Ment, c’est toujours le vent, le vent
Qui recommence en soulevant
Et sel et sable ;

S’épuise enfin sur l’asphodèle,
Puis meurt en caressant l’iris
Dans les bouquets de tamaris,
De saladelle.

L’aurore a fait naître une sorbe,
Ce fruit au corail nonpareil
Qui forme un i c’est le soleil
Sur une euphorbe ;

Sa lumière à présent redore,
Et moire l’étang du Lairan,
Darde ses rayons sur des ram-
-Parts que j’abhorre.

Autour de ces pierres muettes,
Seuls, percent des cris insolents
D’hirondelles, de goélands
Ou de mouettes.

J’exècre en ce lieu l’existence
D’une tour coupant l’horizon,
D’un fort, d’une ancienne prison
Nommée Constance.

Que le diable à Vauvert l’emporte,
Au loin passe un vol de flamants,
On voit rosir le firmament
Sur les eaux mortes.